Le WONDE DEBBO chez les Peuls de Mauritanie

 

 

La Mauritanie, un pays du Nord-Ouest de l'Afrique...

 

 

 

    La République islamique de Mauritanie ou «Pays des milles poètes » a toujours été considérée géographiquement et culturellement comme un trait d’union entre l’Afrique noire et le Maghreb. Située au Sud du Maroc et au Nord du Sénégal, c’est un pays aux trois quarts désertiques, habité majoritairement par des peuples d’origine nomade, Maure, Peul et Soninké. On trouve aussi d’autres ethnies minoritaires telles que les Wolofs et les Bambaras. L’Islam, religion d’Etat du pays, est l’élément qui structure les relations entre toutes ces ethnies. Les cultures traditionnelles de ces populations ont été largement influencées par cette religion, faisant ainsi progressivement disparaitre tout rites païens ou polythéistes. Mais les peuples du Sud : Peuls, Soninkés, Wolofs et Bambaras, qui habitent les régions frontalières du Mali et du Sénégal pratiquent des rites, ici initiatiques, dont la caractéristique principale, est qu’ils ne se réfèrent à aucune divinité et ne contiennent même aucune consonance religieuse. Contrairement à l’ethnie Kabiyè étudiée précédemment, ces rites n’ont donc pas de rapport réel avec la religion prédominante du pays, pourtant omniprésente. Mais cela n’est pas un choix, c’est une question de respect de la religion, considérée comme sacrée. En effet, dans la religion musulmane, celle des peuples du Sud susmentionnés, aucun rite ne doit s’additionner à ceux qui s’effectuent dans le cadre des pratiques religieuses. Les rites initiatiques ne sont donc considérés que comme une coutume, une tradition externe à la religion, permettant d’ancrer à part entière un individu dans son ethnie, qui sera dans notre exemple, celle des Peuls ou Haal Pulaar (qui parle pulaar, peul).
 
    Dans cette ethnie, il est important de conserver des cérémonies traditionnelles qui montrent que les valeurs demeurent vivantes aux jeunes générations. Au sein de ce groupe on retrouve l’unité familiale, appelée Galle (prononcer « Galé »), où la femme occupe une place centrale. On l’appelle Diomsoudou, qu’on peut traduire par « le chef de la chambre », puisque la chambre parentale est l’élément central de la maison familiale, le Galle. Les Fedde, le regroupement par classe d’âge au sein de la communauté Peul, servent à éduquer les jeunes et à les intégrer au groupe. Ces Fedde, non mixtes, représentent le cadre de l’initiation, ici des jeunes filles.
 
    Dans la dernière classe d’âge de Fedde, du côté des filles, se trouvent celles ayant atteint la puberté. C’est un ensemble hétérogène car toute jeune fille ayant atteint ce stade, celles de leurs premières règles, rejoint le groupe, et ce, quel que soit son âge. Le Fedde permet tout d’abord l’apprentissage de la solidarité et c’est dans ce cadre que s’effectue l’initiation ce ces dernières à leur future place d’épouse et de mère. En effet toutes les valeurs que la société attend d’elles leur seront enseignées dans le cadre de cette structure.
De plus, la société peul est à l’origine matrilinéaire, ce qui donne à la mère de famille une très grande importance, d’où la sacralité de tout ce qui est attaché au rôle de la femme du foyer. Elle sera la gardienne de l’honneur et des secrets du Galle. Elle est responsable de l’éducation des enfants et principalement de la qualité prépondérante, qui est, pour les Peuls, la pudeur, le Gachié, attendue plus particulièrement des filles.
 
    Par ailleurs, dans cette même ethnie, il est important de marquer le passage de la jeune fille impubère à la potentielle mère de famille par un rite spécifique. Toute jeune fille l’attend alors avec impatience mais aussi avec appréhension, car il demeure une méconnaissance plus ou moins totale de son contenu puisque le secret est exigé et respecté. Cette attente constitue une épreuve qui se place dans le rite, apprenant à la jeune fille à être patiente.  
  
Le déroulement du rite en lui-même, Wonde Debbo, se fait en trois phases dénommées :
 
  • Hoolaaré «confiance » ;
  • Djondé « stabilité » ;
  • Mbamtoudé « développement ».
 
    Comme dit ci-dessus, la société Peul est matrilinéaire, reposant sur le lignage de la mère. C’est ainsi que, par voie de conséquence, la figure du frère de la mère a une importance capitale en comparaison à celle du père même de famille. Le mariage de la jeune fille ne peut se faire sans l’accord explicite de celui-ci et même en l’absence du père, ce seul accord suffit. L’oncle maternel va donc jouer un rôle important dans cette initiation. L’autre rôle principal est assuré par une vieille femme choisie dans le lignage qui habituellement aide à l’animation du Fedde dans ses activités diverses.
     Deux jours avant la nuit de l’initiation, des signes annonciateurs indiquent à la jeune fille que son tour approche. Par exemple, la mère de celle-ci ainsi que ses tantes choisissent un moment particulier de son quotidien et l’amènent s’asseoir sur le lit de ses parents (jadis une natte). Ce qui parait ici anodin ne l’est pas, c’est un élément de surprise pour la jeune fille car chez les Peuls, s’asseoir là où dorment ses parents est proscrit. Ceci indique le début de son changement de statut. Une discussion a alors lieu sur le rôle de la femme et chacune y va de ses recommandations. De plus pendant ses deux journées précédant le début du rite, la jeune fille n’a pas le droit de sortir sans explication comme à son habitude et, suivant les familles, on intensifie sa participation aux travaux domestiques.
     Lorsqu'arrive le jour de l’initiation, sa sœur ainée, si elle en a une, ou alors sa cousine plus âgée qu’elle, vient lui défaire ses tresses (car les jeunes filles sont tenues de toujours avoir les cheveux coiffés) et l’aider à se colorer les cheveux au henné (colorant à base d’herbes utilisés souvent par les mauritaniens entre autres, pour se colorer les cheveux, les ongles, ou se faire tatouages divers).
 Le soir on assigne à la jeune fille une place un peu isolée pour dormir, autre que celle où elle en à l’habitude, sans lui fournir d’explications particulières. Puis, en plein milieu de la nuit, elle est réveillée par un homme au visage enturbanné  et en boubou d’apparat, qui lui dit d’un ton autoritaire « Je suis ton oncle un tel, tes parents me demandent de te conduire chez ta grand-mère ! ». C’est le début de la phase « confiance », Hoolaaré.
La jeune fille se retrouve alors devant deux possibilités : accepter de suivre celui qui se dit son oncle maternel, ou refuser. Le but de cette phase est d’enseigner à celle-ci qu’il est essentiel pour elle de ne pas faire confiance à n’importe qui, puisque la femme est non seulement la gardienne de l’honneur et du secret du Galle, mais elle pourra aussi se retrouver, en tant que femme, dans des situations où il s’agira pour elle de faire preuve de méfiance. Par exemple, cette vertu lui servira à éviter le viol par intérêt, (car une vieille coutume consistait à ce que des hommes de caste inférieur, pour pouvoir entrer dans une famille noble, organisaient un enlèvement d’une des femme de celle famille, qu’il aura alors le droit d’épouser), le vol dans sa maison ou encore, lui servira à choisir avec lucidité les personnes à qui elle confiera ses enfants, etc.
     Si la jeune fille refuse, cela est le signe qu'elle a réussi son épreuve avec succès. L’homme, la mère et les tantes se dévoilent à elle, félicitant celle-ci pour sa prudence. Si au contraire, devant l’autorité de l’homme qui se présente comme son oncle, elle accepte, un processus est alors mis en place pour l’effrayer davantage, dans le but de lui montrer qu’il ne faut pas faire confiance à tout le monde. Elle peut être amenée en dehors de la ville puis laissée seule un moment durant lequel des jeunes hommes lui tournent autour, la menacent, lui faisant ainsi peur. Quand sa mère et ses tantes, qui se trouvent à proximité, considèrent qu’elle a compris, elles vont la chercher, et lui expliquent l’importance de la méfiance. 
    La seconde phase commence alors, celle de la « stabilité », Djondé. Elle consiste à montrer, symboliquement, à la jeune fille qu’elle est le pivot de la famille et celle qui est la garante de sa stabilité. Le mot Djondé a la même racine, en peul, que le verbe « s’asseoir ». Tout le rituel composant cette partie du rite est donc relative à cette attitude corporelle. La jeune fille est amenée par sa mère, accompagnée d’autres femmes de la famille, dans un endroit dont elle ne sait rien puisqu’elle a le visage recouvert par un pagne coloré. Elle retrouve à cet endroit les jeunes filles de sa Fedde, qui subissent au même moment qu’elle, le même rite. On les fait alors s’asseoir en cercle autour d’un feu où on leur intime l’interdiction de regarder derrière elles, l’obligation de baisser les yeux, et de se taire. Elles écoutent à tour de rôle le long chant d’un griot qui derrière elles exalte les vertus de la famille de chacune d’entre elles.
     Ensuite chacune entend la voix de sa mère s’exprimant généralement en ces termes : « Moi une telle, mère d’une telle, j’ai préservé pendant X années l’honneur de la maison et j’ai honoré mes aïeux en gardant ma pudeur et aujourd’hui ma fille une telle fera de même. ». Puis, les filles sont priées de se tourner. Elles découvrent un alignement de mortiers retournés. Chaque mère prend sa fille par l’épaule, l’amène près du mortier, la fait asseoir en disant cette formule « A toi maintenant le secret ma fille. » Sur le mortier, elle ferme les yeux et aspergée de différents liquides (nommés aayé) on lui récite des incantations en langue peule. Puis, on lui donne une préparation souvent désagréable à avaler, et tout cela sans aucune explication. Ce rituel traditionnel, aux consonances magiques, a pour objectif de l’aider à préserver les qualités que l’on attend d’elle, telles que la fertilité qui est vecteur de prospérité.
Après cela, chaque fille est amenée dans une pièce où les femmes présentes vérifient sa virginité, (car tout comme au Togo, chez les Kabiyè, ce point est extrêmement important) avant de la faire changer de vêtements. On l’habille en blanc, échangeant le pagne coloré qu’elle avait jusque lors sur la tête, contre un pagne blanc. Puis, on lui fait plier le pagne coloré en lui disant « Ce pagne coloré sera enterrée avec toutes les imperfections de l’âge enfant. Voilà maintenant ce pagne blanc qui t‘accompagnera jusqu‘à ton mariage.»
     Ensuite commence la troisième et dernière phase du rite, le développement, Mbamtoudé. C’est la phase pédagogique. On fait alors boire à la jeune fille, des racines traditionnelles qui la mettent dans un état de calme et de sérénité, lui permettant ainsi d’écouter avec la plus grande attention les discours de personnes dont elle ne voit pas le visage. On lui parle alors d’éducation sexuelle, ce qui était par ailleurs tabou jusque-là. Puis on lui raconte, sous forme de contes, des histoires mettant en scène les valeurs de Gachié (la pudeur), mais aussi de fidélité ; des histoires qui comportent toujours une morale, destinée à montrer l’exclusion sociale irrémédiable qui attend celles qui enfreignent ces règles d’or (qui constituent le fondement même de l’état de femme). La jeune fille écoute encore des discours sur la structure de la société et sur l’éducation des enfants, et doit mémoriser des maximes qui disent par exemple :
« A l’enfant tu diras ceci et cela, au mari tu porteras ceci et cela, à la famille tu ne feras point ceci ou cela », etc.
Elle apprend ainsi la meilleure manière de réagir face à des situations bien précises. Ces discours, primordiaux dans le cadre du rite, durent une bonne partie de la nuit. Avant l’aube, on la conduit, toujours le visage caché par le pagne blanc, dans un endroit où, accompagnée des jeunes filles de sa Fedde, elle creuse un trou pour enterrer le pagne coloré qu’elle portait durant les premières parties du rituel. Cette action symbolise la fin du rite, et donc la fin de l’enfance, et le début de la vie de femme : c’est la phase d’agrégation ou de réagrégation.
    Quant au pagne blanc, avec lequel elle rentrera chez elle, il sera gardé et utilisé au moment de son mariage ainsi qu’au lendemain de sa nuit de noce, comme complément de son costume. La jeune fille, devenue femme, est tenue de garder ce pagne symbolique durant toute sa vie (traditionnellement, les femmes de cette ethnie le portaient toujours sous leur pagne, comme une sorte de sous vêtement.)

 

 

 

Nous vous invitons à présent à continuer avec nous le voyage vers la Mauritanie, en écoutant cette chanson, interprétée en Peul ("Pulaar") par Baba Maal, un célèbre chanteur Peul. Il chante ici l'origine ses origines.