Introduction

 

 

 

    Les déportations qu'ont subies les africains, suivie de l’esclavage, accompagnés de leurs stigmates douloureux, demeurent gravés dans les mémoires, des stigmates que le récent passé colonial n’a fait qu'exacerber. Profondément marquée et désorganisée par ce passé difficile, la culture africaine, d’abord déniée, a longtemps été souvent perçue comme primitive, sans réelle profondeur et gouvernée par l’émotion et l’instinct. Il est d'ailleurs curieux de constater que même Léopold Sédar Senghor a déclaré en substance que « l’émotion est nègre et que la raison est hellène ». De plus, depuis les indépendances, les pays africains traversent de profonds bouleversements politiques, socio-économiques mais aussi culturels et bien souvent des conflits armés dévastateurs. L’Afrique est également le théâtre de sévères maladies meurtrières. En effet, les taux de mortalité qui en émanent, autant que ceux liés à la pauvreté, aux conditions de vie difficiles, et autres fléaux font aussi ployer le continent africain sous leur joug. Par ailleurs, le traitement de ces évènements dans les médias internationaux, contribue d’autant plus à présenter une vision fortement misérabiliste de l’Afrique, et uniquement celle-là.
    Cependant, ce continent, que l’on présente régulièrement en martyr dans l’actualité, apparaît tout autrement grand et prospère quand il s’agit de sa biodiversité plus qu’imposante, du sport, de la musique et des arts en général. De plus, l’Afrique par sa culture fortement diversifiée, accueille grand nombre de traditions formatrices et nobles qui forcent le respect.
C’est en cela qu’en Afrique, peut-être plus qu’ailleurs, cette maxime prend toute sa latitude: « Plus grande est la souffrance, plus fort doit être le talent », comme le scande Aminata Sow Fall, l’une des pionnières de la littérature africaine francophone.


    La culture africaine n’est donc pas un bloc monolithique ; elle est réellement multiforme en ce sens que le continent est le berceau de nombreuses cultures, lesquelles s’enrichissent mutuellement de leurs multiples différences. Cependant, aussi diverses que puissent paraître ces composantes, la culture africaine sait toutefois les rassembler autour de similitudes non négligeables. L’une d’entre elles n’est autre que la vision de "la femme" qui elle-même, et sous diverses coutures est un référent majeur de la culture du continent. En effet, dans la plupart des sociétés traditionnelles africaines, les femmes sont considérées comme la clé de la communauté. Louée pour la descendance qu’elle lui offre, pour sa beauté, sa douceur, son éthique, elle est un objet de respect, et souvent même d’admiration.
D’ailleurs, dans de nombreux poèmes, chants et contes, ses aspects les plus nobles n’ont cessé d’être énoncés, renforcés par la beauté des textes qui en traitent. Le poème de Léopold Sédar Senghor en est un exemple maintes fois étudié dans les salles de classe, « Femme nue, femme noire », où beauté, douceur, sensibilité et esprit familial de la femme forment un amalgame dans lequel se côtoient art et  richesse.
Cette dernière est formée à son rôle de manière souvent stricte, car les attentes que sa société a d’elle sont fréquemment nombreuses et complexes. Cette formation s’effectue alors à des périodes précises de sa vie, dans le cadre de rites propres à sa tradition : lors de rites de passage.



    La vie est faite d’un ensemble de rites, et comme l’affirme l’anthropologue et ethnologue madame Nkoghé de l’université gabonaise Omar Bongo, « La vie elle-même est un grand rite qui se répète ».

    Caractérisé "par une configuration spatio-temporelle particulière, par le recours à une série d’objets, par des systèmes de comportement et de langages spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens codé constitue l’un des biens communs d’un groupe", le rite est une cérémonie individuelle ou collective correspondant à la pratique d’une cérémonie religieuse ou non, et ainsi porteuse d'une forte dimension symbolique.
Non seulement se pratiquant dans un esprit traditionnel, les rites se retrouvent également dans ce que l’on peut appeler des « terrains profanes ». C’est la vie de tous les jours, dans laquelle des rituels sont instaurés et effectués sans la réelle prise de conscience que l’on peut les considérer comme tel : le rite de table au moment du repas, le rite du savoir-vivre etc. Ils aident à forger l’identité d’un individu, d’un groupe, d’une communauté…


    Le rite de passage est alors la cérémonie individuelle ou collective et de dimension symbolique, qui fait passer ses protagonistes d’un statut à un autre.
Dans son livre fondateur « Les rites de passage » publié pour la première fois en 1909, Arnold Van Gennep (1873-1957), ethnologue français, est le premier à utiliser l’expression de « rite de passage », ainsi qu’à étudier et analyser le phénomène. Selon lui, tout individu passe par plusieurs statuts au cours de sa vie, et ces transitions sont fréquemment marquées par des rites diversement élaborés suivant les sociétés. Ils se matérialisent le plus souvent par une cérémonie ou par des épreuves rituelles diverses. Ainsi, dans toutes les sociétés, des rites spécifiques accompagnent les changements qui rythment le déroulement de la vie humaine, du berceau à la tombe. De manière plus générale, on peut donc dire que les rites de passage accompagnent chaque changement de lieu, de position sociale, d’âge, mais aussi, et c’est celui que nous abordons  plus précisément dans le cadre de notre étude : le changement d’état.

 

Les rites de passage, 1..flv (2,6 MB)

Les rites de passage tel qu'abordé dans l'exposition Dieu(x), modes d'emploi (High)(2).flv (3,6 MB)


    La naissance, l’initiation, le mariage, et la mort constituent les principaux changements d’états dans les sociétés traditionnelles. Chaque passage comporte différentes étapes qui permettent au néophyte (à l'élève ou aspirant) de s’adapter émotionnellement et moralement à la transition.
Van Gennep, a ainsi enrichi les savoirs relatifs aux rites de passage, en montrant que chacun d’entre eux, est constitué de trois phases primordiales :

 
  •     La phase de séparation, où l’individu sort de son état antérieur (dans le cadre d’une initiation, il est isolé du groupe)
  •     La phase de marge, où l’individu se situe entre deux statuts : ses caractéristiques sont ambiguës, il passe à travers un domaine de transition, qui n’a aucun (ou très peu) des attributs de son état passé, ni de l’état qu’il est en passe d’acquérir. (dans le cadre d’une initiation, c’est le moment où s’effectue réellement le rituel : la démarche initiatique, à l’écart du groupe)
  •    Enfin, la phase d’agrégation ou de réagrégation, où l’individu acquiert enfin son nouveau statut, son nouvel état, relativement stable. Ainsi, il a de nouveaux droits, et des obligations vis-à-vis des autres membres du groupe. Il doit alors se conformer à certaines normes qui s’imposent à tous ceux qui possèdent la même position sociale que lui. (C’est alors le moment, pour continuer dans la lancée de notre exemple initial, du retour dans le groupe de l’initié : Une fête est généralement organisée, où sont exaltés les sens et le plaisir de se retrouver ensemble, après un passage dont les épreuves peuvent aller du simple intellectuel, au réel physique).
Ces rites de passage permettent ainsi de lier définitivement l’individu au groupe, mais aussi de structurer sa vie en étapes précises qui lui permettent d'appréhender ce que sa société attendra de lui. En réalité, les phases de transition que subissent inéluctablement tout être humain  peuvent être à l’origine d’un certain désordre psychologique, entraînant craintes et questionnement chez le sujet. L'un des buts de ces rites, mais nous en étudierons d'autres dans le cadre de notre étude, est alors en en réglementant minutieusement chaque étape, d’éviter toute perturbation majeure à l’individu, et qui aurait fatalement des répercussions sur la communauté.
 

    Les rites de passage, font alors partie intégrante de la tradition et c'est donc également le cas des rites de passage de la jeune fille à la femme (ou rites initiatiques féminins) que nous allons étudier ici. Pour cela, nous tenterons, dans une première partie, de comprendre ce qu'est "la tradition" et de quelle manière cette dernière s'est acheminée jusqu'à nous. Dans une seconde partie, nous analyserons les formes traditionnelles des rites abordés, étudierons ensuite leurs principales fonctions, avant d'aborder, dans une quatrième partie, le point culminant de notre travail à savoir l'analyse des évolutions et des adaptations qu'ils ont subies. A travers cette démarche, nous répondrons à la question phare énoncée précédemment : « Y a-t-il une pérennité dans les rites de passage de la jeune fille à la femme en Afrique ? »