L'Akpema, chez les Kabiyès du Togo

 

 

Durant le rite de l'Akpema.

 

     

 Le Togo, un pays de l’Afrique de l’Ouest…

 

 

    Très diversifié dans ses groupes ethniques, dans ses mœurs et coutumes, dans ses chants et danses, dans ses contes et rythmes musicaux, le Togo, est, diront les amis de ce pays, « une véritable mine de valeurs culturelles authentiques ».
Limité au Nord par le Burkina Faso, à l’Ouest par le Ghana, à l’Est par le Bénin, et au Sud par l’océan Atlantique, il possède une population d’environ 6 millions d’habitants. Etant cependant l’un des plus petits Etats africains avec environs 57 000 km², s’étirant sur 600Km du Nord au Sud mais n’excédant pas une largeur moyenne de 130Km, le pays est habité par une « mosaïque » de peuples appartenant à des souches différentes. Il comporte une quarantaine d’ethnies possédant chacune sa propre langue.
De cet éventail d’ethnies, aucune n’est réellement majoritaire dans le marquage identitaire global du pays. Toutefois, les Ewés au Sud, qui représentent 22% de la population, et les Kabiyès au Nord, sont largement les plus représentés. Et c’est le groupe ethnique Kabiyè, ainsi qu’une partie de sa vaste tradition, qui a retenu notre attention dans la présente étude. Notons que cette ethnie, comme toutes les autres présentes sur le territoire togolais, possède des traditions indépendantes des traditions voisines, et qui se veulent clairement indissociables du contexte religieux.
Les Kabiyès, nom donné à cette population, représentent environ 13% de la population togolaise et se concentrent principalement dans le Centre Nord du Togo, dans la région de la Kara, (420Km de la capitale, Lomé), d’où est également originaire le groupe. Dans ce groupe ethnique, le processus d’accession à la majorité est traditionnellement l’un des plus importants, que ce soit pour le jeune garçon ou pour la jeune Kabiyè.
La prérogative commune des initiations masculines (appelées Evala, qui se présentent sous la forme d’une lutte entre jeunes garçons de divers villages) et féminine en pays Kabiyè est  de signifier au jeune candidat ainsi qu’à sa famille et à l’ensemble de la communauté, qu’il (ou elle) a atteint l’âge adulte et la maturité.
Plus spécifiquement, le rite de passage de la jeune fille à la femme au sein de ce groupe ethnique est appelé « AKPEMA ». Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce rite, il faut tout d’abord remonter à la naissance de la jeune fille Kabiyè.
    Lorsqu’elle vient au monde, cette dernière fait l’objet d’un accord entre sa famille et celle d’un petit garçon, qu’elle sera destinée à épouser au moment de leurs deux accessions à l’âge adulte. Les parents du garçon négocient alors leur prérogative sur la nouvelle née afin de s’assurer un lignage. Ce garçon, durant son adolescence, sera de cette manière dans l’obligation de servir ce qu’il peut d’ores et déjà appeler sa belle-famille. Ce service, qui dure entre trois et cinq ans est souvent sous la forme d’un travail aux champs, de l’offrande d’aliments tels que le riz, le mil ou l’igname, ou autres courtoisies : la dote se construit alors petit à petit.
    Pendant ce temps, durant la période d’adolescence de la jeune fille, elle est formée par les femmes de sa communauté ou de sa famille. On lui apprend alors comment tenir un foyer et comment se comporter, l’objectif étant de la former, la conseiller, l’éduquer selon les valeurs de la communauté et la préparer pour son futur époux.
Ainsi, jadis, l’AKPEMA était non seulement le rite initiatique féminin, mais aussi la marque que le nouveau-né devenue jeune fille, sera après les diverses cérémonies constitutives de ce rite une femme prête à épouser l’homme qui lui a été destiné.
     Au commencement du rite, qui débute souvent un samedi du mois d’Août, la jeune fille est enfermée, ou plutôt « internée », et nul n’a le droit de rentrer dans ce lieu d’enfermement, ni même son père et sa mère. C’est la première phase du rite, la phase de séparation. Ainsi, elle mesure l’importance de son rôle futur de femme qui la conduira souvent à être seule face à des situations difficiles ou face à des choix cornéliens. Le lendemain, à l’aube et avant qu’il ne fasse grand jour, les membres de sa famille, que peuvent être oncles, tantes ou autres, viennent la libérer d’une longue nuit de solitude. Sa tête est alors complètement rasée et enduite d’un colorant, dans la continuité de la phase de séparation. Puis, complètement dénudée, sont attachés à  son mollet et à ses hanches, des cordages noirs ou couverts de poils d’un animal immolé pour l’occasion. Ces derniers traitements sont donnés à la jeune fille par les membres féminins de sa famille, car pour les parents, c’est souvent une grande fierté de voir son enfant évoluer dans la hiérarchie de la vie.
D’ailleurs, un parent Kabiyè que nous avons rencontré témoigne au sujet de cette cérémonie : « Lorsqu’un enfant naît, il ne choisit ni son lieu de naissance, ni ses parents, ni son ethnie, ni sa culture. C’est la dimension de sa vie qui est construite sans lui. De ce point de vue, c’est tout à fait normal que lorsqu’un enfant naît, on puisse lui montrer ses racines, et ceci constitue pour nous une grande fierté. C’est donc un plaisir pour moi de lui donner sa majorité, et de lui signifier que sa vie est à présent entre ses mains. »
     Après cette période d’enfermement et de préparation à la plus grande cérémonie, qui doit débuter peut après, il reste cependant une tâche primordiale que la jeune fille doit effectuer, pour la bonne poursuite de ce rite de passage. Elle a l’obligation de présenter ses excuses à ses ancêtres pour tout forfait préalable, afin de pouvoir recevoir leur bénédiction, dont l’importance est capitale. Ceci étant fait, le soir, à partir de 15heures, la cérémonie centrale, prédominante et tant attendue peut débuter. La néophyte doit à présent braver pentes et collines, pour se rendre au sommet de la montagne sacrée, dans un lieu sacré, appelé « Saodè ». Cette nouvelle épreuve veut renforcer l’endurance et le courage de la jeune fille.
Là, se déroule la cérémonie qui met en jeu le point le plus capital de l’Akpema : la virginité de la jeune Akpenou, nom donné à la fille subissant le rite. Le lieu sacré susmentionné, « Saodè », abrite une pierre sacrée, dont l’origine des pouvoirs est inconnue ou en tout cas, considérée comme mystique. En effet, il faut préciser que la jeune fille est promise à la virginité jusqu’au mariage au profit de son futur époux désigné depuis sa naissance. C’est pour cela que sa virginité reste capitale, et demeure un objet de fierté pour sa famille. Car cette dernière sera en mesure de présenter à la famille de son pré désigné fiancé une femme digne de ce nom, non seulement formée pour devenir une vraie femme au foyer, mais aussi pure et intouchée d’aucun autre homme. Ceci constitue alors la marque du respect du contrat effectué des années auparavant, ainsi qu’une réelle récompense pour le jeune promis, après de nombreuses années de loyaux services et de courtoisie. Aussi, chaque Akpenou convaincue de sa virginité et de sa pureté est amenée à s’asseoir sur cette pierre sacrée, où lui sont appliqués des rituels, rituels que seules les initiées et leurs familles sont en mesure de connaître. Nous ne pouvons donc pas aller plus en détails, et tenter de percer des secrets plus que bien gardés.
     Cependant, une jeune fille qui n’est pas vierge, ne peut s’approcher de cette pierre, au risque de s’attirer les foudres de cette dernière et d’être punie par elle. Dans cette situation, c'est-à-dire, si l’Akpenou s’entête à s’approcher de la pierre sachant sa non virginité, elle est sujette à des saignements graves et encourt le risque de ne pouvoir, pour un certain temps, se relever de cet objet sacré, comme nous l’a indique Mr. Bakou Tchakou, fonctionnaire au PNUD et kabiyè d’origine.
Ceci constitue souvent une honte pour la famille tout entière, car comme le dit très justement un proverbe sénégalais, « La honte de ton parent est ta propre honte ». La famille n’aurait ainsi pas respecté son accord initial et serait dans l’obligation de rembourser la totalité de la dote que le jeune garçon s’est attelé à assurer durant toute son adolescence. De plus, cela serait également signe d’annulation du mariage prévu.
Si toute fois et fort heureusement cette étape est franchie avec succès, la jeune fille est ramenée auprès sa famille : c’est la phase de réagrégation. Car en effet, la phase de marge définie par Van Gennep, constituées de toutes les cérémonies qui lui ont été effectuées, se termine. La fête peut alors débuter. Les familles organisent généralement des festins en l’honneur de la nouvelle femme. Elle peut dès à présent s’habiller, danser et sortir, en attendant son mariage prochain.

 

 

    Continuons à présent le voyage vers le Togo. Nous vous invitons à écouter cette chanson, de Bella Bellow, célèbre chanteuse togolaise des années 70. Elle chante sa terre d'origine, le TOGO, dans une de ses chansons les plus écoutées "Denyigban", qui signifie "Terre natale".