Quelles sont les causes de ces changements ?

 

 
    Nous l’avons vu, l’environnement a changé, les besoins aussi. Les transformations sociales sont un principe universel qui touche tous les domaines de la vie. Il est donc intéressant pour nous d’étudier la cause de ces changements, et dans le cadre étudié.
En effet, le continent Africain, semble aujourd’hui être en plein processus de conciliation, et ce non sans difficultés, entre tradition et modernité ; une conciliation qui s’assimile plutôt à un passage de la tradition à la modernité. Cependant, cet effort de compromission ne porte que peu de fruits, puisque comme nous l’a martelé l’ethnologue Joséphine Nkoghé, on est en présence de deux réalités radicalement opposées, qui lorsqu’elles se rencontrent, donnent quasi-systématiquement naissance à un rapport de force. Elle parle d’incompatibilité entre les conceptions culturelles modernes (d’une méthode scientifique et rationnelle) et traditionnelles (d’une méthode symbolique et intuitive). D’ailleurs, l’on assiste parfois à une substitution de la modernité à la tradition, autrement dit, à un effacement de la tradition au profit de la modernité dans certains contextes, et notamment dans les zones urbaines. Pour autant, il ne s’agit en aucun cas d’une disparition totale de la tradition qui parvient à se maintenir, mais le fait est que dans un même contexte social, elle ne coexiste plus que très peu avec la modernité. En réalité, la dichotomie entre ces deux réalités a plutôt des allures de cloisonnement puisque chacune semble se délimiter un territoire presqu’incompressible.



    C’est ainsi que cette modernité jouit incontestablement d’une avance manifeste sur la tradition notamment pour la jeune génération mais aussi, de manière plus élargie, dans les grandes villes africaines. En effet, comme nous avons pu le faire remarquer précédemment, la modernité est fréquemment au centre des modifications subies par les rites. Ce phénomène peut être rapproché, dans le cadre que nous étudions, de celui d’ « occidentalisation » ou de «mondialisation » et est exacerbé par l’omniprésence des médias, qui présentent de nouveaux modèles de vie. Si leur action contribue certainement à l’éducation et à l’ouverture sur le monde, elle n’est pas sans revers sur la perception des modèles traditionnels. Aussi après un bref sondage auprès de jeunes africains dans la ville de Libreville, (gabonais, togolais, sénégalais, maliens, mauritaniens), nous avons vite remarqué que de moins en moins d’importance est accordée aux traditions, du fait d’une assimilation à des comportements étrangers à ceux de l’Afrique. Aujourd’hui, la jeunesse africaine vit dans une situation quelque peu ambiguë, car elle n’arrive plus à réellement composer à la fois avec sa culture et avec toutes les idées importées, parfois avec une telle célérité qu’il est difficile de trouver un équilibre.
    De plus, cette notion de modernité, couplée avec d’autres critères sociologiques, implique certaines réalités telles que l’exode rural qui tend à modifier le cadre géographique des rites, qui était traditionnellement le village. On peut donc considérer cette transformation comme étant un important critère de perdition des rites initiatiques, qui ne peuvent parfois, pour des raisons de mise en œuvre, s’effectuer dans les villes (exemple de l’Akpema, rite dans lequel la montagne est prédominante, puisqu’y est effectuée la partie la plus importante du rite ; dans le Ndjembe également, la forêt est un élément prépondérant). Aussi, ce phénomène peut entraîner un abandon, ici forcé, des pratiques rituelles traditionnelles.


    Par ailleurs, les politiques de développement, qui interagissent d’ailleurs avec la modernité parfois, impliquent également d’autres réalités telles que la scolarisation qui contribue au changement des mentalités, instruisant les jeunes filles et remettant parfois directement en cause les enseignements traditionnels. En certains points, il arrive qu’elle aille carrément à l’encontre de certaines idées prônées par la tradition (femme au foyer soumise à son époux…). Elle met en avant l’indépendance de la femme, qui n’entretient plus uniquement les relations familiales et religieuses prédominantes dans les sociétés traditionnelles, mais qui peut désormais entretenir avec son entourage des relations économiques et politiques, caractéristiques des sociétés plus modernes. Elle est entrainée vers plus d’indépendance, en ce sens que sa vie ne se résume plus à ses enfants, à son mari, et à son foyer, comme cela l’était traditionnellement. Les priorités et les aspirations changent donc, et cela amène au fil des générations des évolutions spontanées et de plus en plus marquées.

    Aussi, les sociétés sont aujourd’hui largement multiculturelles. Le métissage est donc une autre réalité à considérer et qui entraîne l’observation d’identités culturelles de plus en plus hybrides. Il peut de cette manière participer, à sa façon, à la dégradation des traditions et par voie de conséquence, à celle des rites initiatiques africains. En effet, une certaine rivalité peut s’instaurer entre deux cultures, réduisant ainsi la place de chacune d’entre elles, parfois jusqu’à leur effacement total, lorsque les protagonistes tentent, à leur manière, de trouver une sorte de compromis pour éviter tout conflit.

    Ainsi, pour toutes les raisons précitées, certaines traditions africaines sont en réelle perdition. Pour tout africain de l’époque contemporaine, et c’est en ce point que nous nous sentons d’autant plus concernées par le sujet, l’identification à sa culture, à sa tradition est aujourd’hui difficile. Cela n’est pas initialement la conséquence d’un choix, mais de phénomènes divers (modernité, occidentalisation…) qui s’affirment de plus en plus dans les sociétés africaines, et ce jusque dans les comportements, dans les personnalités. Aujourd’hui, il faut le plus souvent regagner les zones rurales pour connaître sa propre tradition car en effet, on peut aussi remarquer une baisse de l’enseignement des traditions par les parents, qui font pourtant partie de la chaîne de transmission orale, et qui sont un maillon important de la perpétuation de ces mêmes traditions en Afrique.